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Vous nous faites chier avec la présomption d’innocence

Dernière mise à jour : 6 sept. 2022


Loves Shadow / Frederick Sandys

Je suis professeur de droit du numérique, et dans le cadre de mon métier, je ne manque pas d’exposer à mes élèves des cas judiciaires impliquant Amazon, Facebook, Google ou autres amis du digital… ce qui ne suscitent que des légers grognements d’indignations de leur part. Mais il m’arrive d’aborder des affaires impliquant des hommes accusés de viol, et à peine ai-je commencé à efflorer ces cas que j’ai droit à des hurlements, des élèves qui roulent des yeux, s’étouffent d’indignation en me matraquant « et la PRÉSOMPTION D’INNOCENCE MADAME ???? » Je suis toujours surprise de voir avec quelle vigueur mes élèves (enfin, certains de mes élèves) s’empressent de défendre nos principes républicains, mais assez circonspecte de constater que cette argumentation est toujours brandie pour défendre les violeurs. Ce principe nous le retrouvons martelé par des commentateurs en colère, sous chaque publication d’article mettant en cause des hommes – le plus souvent – accusés de viols ou de violences sexuelles intimant ainsi aux journalistes et victimes de se taire. Alors oui, la présomption d’innocence parlons-en, puisque manifestement, beaucoup de personnes élèvent cet étendard sans trop savoir quel principe iels défendent. La présomption d’innocence, qu’est-ce que c’est ? La présomption d’innocence est un principe qui s’impose à l’institution judiciaire, c’est un pilier de l’état de droit en vertu duquel la justice ne doit pas condamner une personne avant même de l’avoir jugée. Article 11. de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 de l'ONU : « Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.

Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis. » La.e présumé.e coupable doit donc bénéficier d’une enquête judiciaire à charge et à décharge, dans le cadre d’un procès équitable, où iel aura pu présenter sa défense, enfin, iel ne pourra être condamné.e que pour des faits considérés comme étant illégaux au moment de leur commission. Ce principe est donc fondamental pour les justiciables, qui doivent se voir garantir un procès juste, équitable et contradictoire. Toutefois, le principe de la présomption d’innocence ne peut être imposé aux citoyen.ne.s, qui continuent, pour leur part, de bénéficier de la liberté d’expression, de pensée et de conscience. Il est donc parfaitement possible d’évoquer l’existence d’une affaire en cours, d’émettre une opinion sur celle-ci, d’être convaincue de la culpabilité - ou pas - d’une personne, tout en respectant la présomption d’innocence (c’est-à-dire, vouloir que la personne en question bénéficie d’un procès juste et équitable) La seule obligation des citoyen.ne.s est de faire preuve de prudence si iels expriment leur opinion en public, de bonne foi, et de diligence, sans utiliser des termes injurieux, ni mentir sur le fait que la personne a été fermement condamné, afin de ne pas la diffamer, et donc de rappeler qu’iels ne font qu’exprimer une opinion personnelle. Il est parfaitement possible également, pour les journalistes d’évoquer une affaire en cours, d’enquêter sur une personne, avec éthique journalistique, et de publier les conclusions de leurs enquêtes. Il est également licite d’apporter son soutien aux victimes, aux personnes qui témoignent, de relayer leurs messages si vous le faites avec bonne foi : non pas dans le but de porter atteinte à la réputation du présumé coupable, mais bien parce que vous avez des raisons légitimes de croire en la parole des victimes et de vouloir lui donner écho. La présomption d’innocence n’empêche pas l’adoption de mesures conservatoires Enfin, il est parfaitement possible de respecter la présomption d’innocence d’une personne tout en adoptant des mesures conservatoires afin de protéger de potentielles victimes. Suite au scandale sanitaire des pizzas Buitonis, est-ce que vous vous êtes précipité.e.s sur votre congélateur pour déguster celles que vous aviez en stock au nom de la « présomption d’innocence » de l’entreprise ? Non, tous les magasins et particuliers se sont empressés de jeter les mortelles pizzas sans attendre la condamnation ferme de Nestlé par les tribunaux, et vous vous êtes bien gardé.e.s d’en croquer un morceau. Il devrait en être de même quand on parle de viol ou de pédocriminalité : s’il existe de forts soupçons pesant sur une personne, l’institution où sévit cette personne a le droit, même le devoir de mener une enquête, tout en adoptant toutes les mesures conservatoires nécessaires (notamment la suspension de ses fonctions) afin de protéger de potentielles victimes. Défendre la présomption d’innocence, c’est défendre la justice Si vous voulez vraiment défendre la présomption d’innocence, les droits de la défense et la dignité des accusé.e.s, c’est bien l’institution judiciaire à l’agonie qu’il faut défendre : les juges n’ont plus le temps d’exercer correctement leur profession, la justice manquent terriblement de moyens pour assurer sa mission, il y a 2 fois moins de magistrats en France par rapport à l’Allemagne et ces derniers ne cessent d’alerter sur la « clochardisation de la justice » qui les empêchent de traiter avec sérieux les dossiers judiciaires, au point que même les avocats rendent la robe constatant qu’iels ne peuvent plus décemment défendre les droits de leurs clients en proie à une institution aussi exsangue. Oui, les justiciables méritent que leurs droits soient respecté.e.s, nous l’avons vu, si la présomption d’innocence est l’un des piliers de notre état de droit, il n’est pas le seul. Les justiciables doivent pouvoir bénéficier d’un procès équitable, contradictoire où ils peuvent présenter leur défense, rendu dans des délais raisonnables, ce que la justice n’est plus en mesure d’assurer aujourd’hui. Les droits de la défense ne doivent pas s’arrêter devant les portes des tribunaux, même une fois jugé coupables, les personnes ayant commis des crimes ou des délits doivent voir leur dignité préservée (et oui, même les violeurs et les pédocriminels). Si avez à cœur de défendre les droits des accusé.e.s, alors vous devez vous indigner du traitement inhumain que subissent nos détenu.e.s (notamment ceux en détention provisoire qui ne sont même pas encore fermement condamé.e.s), et militer pour une politique carcérale accès sur la prévention, le soin et la réinsertion. La présomption d’innocence ne doit pas être un outil de silenciation des victimes, et encore moins une excuse faiblarde pour refuser d’agir face à l’injustice. En revanche, elle doit être un véritable combat pour la justice, et la dignité des détenu.e.s. Lysandra

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