La cancel culture est la nouvelle hantise des éditorialistes, qui semblent absolument terrorisé.e.s par cette « nouvelle mode » que serait la « cancel culture », capable d’annuler d’un trait de tweet n’importe quelle personne n’adhérant pas au « dogme woke ».
Studio Baldani, d'après l'oeuvre de Manet, le déjeuner sur l'herbe, censurée et moulte fois parodiée Dans les journaux de droite, les articles ne manquent pas qui décrivent cette nouvelle menace des éveillé.e.s qui empêchent de dormir les enthoven et les onfray. Tous parlent de la cancel culture comme d’un phénomène nouveau en provenance des Etats unis, qui viendrait obscurcir notre pays des lumières. Pourtant, nul besoin d’être un féru d’histoire pour savoir que la cancel culture, ou en bon français : l’exclusion d’une personne du groupe social pour avoir transgressé les règles du groupe, n’a rien de nouveau. De toute époque et en tous lieux, et avant même l’apparition des prisons, la punition par excellence fut le bannissement ; érigée en institution sous l’antiquité avec l’ostracisation ou la damnatio memoria ; les pouvoirs religieux ne sont pas en reste puisque l’excommunication a toujours été le moyen de sanctionner l’hérésie. Pour en revenir à une période plus contemporaine, le licenciement, l’exclusion temporaire, la mise à pied sont des sanctions largement usitées par toutes les institutions, groupement ou associations dès qu’un de leur membre ne respectent pas les normes du groupe. Cela a toujours existé, et cela existera probablement toujours, donnant lieu à d'éventuelles situations abusives, ce qui est déplorable. Mais soyons honnêtes, ce qui inquiète les éditorialistes ce n’est certainement pas le nombre grandissant de personnes reconduites à la frontière, facilités par les récentes loi anti migratoires, ni la casse du droit du travail laissant plus de libertés aux patrons de licencier des salarié.e.s pour avoir exprimé leurs opinions politiques, dont les vies sont pour le coup, vraiment annulées du jour au lendemain. Ce n'est pas à ce type d'exclusion qu'iels font référence, et ce n'est donc pas ça la "cancel culture" à leurs yeux. Non, ce qui affole Raphie et Finkel, c’est que les élites médiatiques risquent d’être déchues de leur piédestal, et que des œuvres risquent d’être censurées. Mais là encore, s’agit-il d’un phénomène nouveau importés des Etats Unis ? Et bien, la réponse est non. Du livre « Madame Bovary » De Flaubert, qui portait atteinte aux bonnes mœurs à « J’irais cracher sur vos tombes » de Boris Vian, visé par une censure administrative pour avoir narré le parcours d’un homme métisse victime du racisme, ou plus récemment, des groupes de rap comme NTM dont les membres furent condamnés à de la prison ferme pour avoir exprimé leur désir pour la police… ce ne sont pas les exemples qui manquent, et nous n’allons pas tous les énumérer ici, d’artistes victimes de la censure politique, qui furent rendues possibles par des lois centenaires (notamment la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881), en France. Dans ce cas, pourquoi ce phénomène est-il perçu comme nouveau ? Ce qui a changé ces 20 dernières années, c’est l’apparition des réseaux sociaux, qui ont montré à la face de nos élites ce qu’elles semblaient ignorer totalement : c’est que les gens avaient aussi une opinion, et que les gens faisaient des choix : de consommer ou non les œuvres produites par ces artistes, tout en s’exprimant publiquement sur ces choix…. Et que parfois, quand une entreprise – observant les remous des réseaux sociaux – estime que ces revendications peuvent avoir un impact sur sa réputation, et donc sur sa santé financière, elle pourra arbitrer en faveur de tel ou tel artiste selon les gouts du public. Les militant.e.s, de gauche comme de droite, s’empressent donc de mener des actions sur les réseaux sociaux dans le but de faire pression sur les entreprises. Avec un succès plutôt limité voire inexistant, car si les réseaux sociaux progressistes ont grondés contre Dave Chappelle, et les plus conservateurs contre le film « Mignonne », dans un cas comme dans l’autre, Netflix n’a rien annulé et a même renouvelé son contrat avec l’humoriste accusé de transphobie. Finalement, Netflix a privilégié la stratégie du bad buzz : bonne ou mauvaise, toute communication gratuite est profitable à une entreprise capitaliste. D’ailleurs, vous pouvez constater que si une simple polémique sur un titre de livre fait bondir de rage les éditorialistes qui hurlent à la mise à mort de la culture et au néomaccarthysme (rien que ça…) lorsqu’un producteur décide d’annuler la sortie d’un film de 90 millions de budget… étrangement ni Marianne ni Le Figaro ne s’offusquent. La différence ? Dans le second cas, l’ordre immuable du pouvoir est respecté mais dans le premier cas, une partie de la population (usuellement minorisée et réduite au silence) exprime publiquement une opinion, qui est prise en compte ; et c’est bien ce semblant d’inversion des pouvoirs qui excèdent ceux qui le détienne habituellement. Les statues déboulonnées qui font perdre la tête Nous l’avons vu, en France comme ailleurs, il n’y a pas de phénomène d’annulation qui serait soudainement apparu, la censure a toujours existé, tout comme les lois venant limiter et encadrer la liberté d’expression. Cependant, un autre sujet semble obséder la droite : ce serait « l’effacement de l’histoire » et par extension de notre grand Récit national par le déboulonnage des statues. Encore une fois, pour des fervents défenseurs de notre histoire national, nos pourfendeurs de la cancel culture semblent avoir vite oublier que les « wokes » n’ont en rien inventé en ce domaine. D’ailleurs le mot « vandaliser » fait références aux Vandales et au sac de Rome de 455, et l’histoire est jalonnée d’épisodes de destructions et de reconstructions des monuments nationaux. Mais avant toute chose, une précision : les statues ne sont pas l’Histoire de France, elles n’en conditionnent pas l’existence, elles ne sont que la représentation officielle de ce que le Pouvoir désire montrer de l’Histoire. C’est donc l’Etat qui a toujours eu le monopole du récit national, de sélectionner le contenu des programme scolaires et quelles figures historiques ériger en statue à des fins de propagande nationale. En proposant de déboulonner certaines statues, les militant.e.s pour les droits civiques nous rappellent simplement que cette mise en scène du récit national est un choix, et que ces choix peuvent être questionnés, débattus et ne pas émaner uniquement de la toute-puissance de l’Etat, seul rédacteur de l’Histoire officielle. Il n’y a donc toujours pas là une volonté « d’annuler l’histoire », les statues ne sont pas détruites mais une volonté politique de raconter l’Histoire autrement, celle des grand.e.s oublié.e.s et perdant.e.s de l’histoire officielle. C’est d’ailleurs ces questionnements politiques qui aujourd’hui irritent les dominant.e.s, qui ne semblaient pas s’émouvoir quand en 1989 De Villiers appelait à déboulonner les statues des Révolutionnaires mais s’éventent aujourd’hui quand les militant.e.s pour les droits civiques questionnent la place de criminel.le.s contre l’humanité dans l’espace public. Où sont les cancels ? Vous l’aurez compris, ce qui semble plus caractériser la « cancel culture », c’est une crainte que le pouvoir de censure, le pouvoir de décider ce que l’on peut montrer, qui a toujours été entre les mains des bourgeois.e.s, prescripteurs du bon gout, échappe au contrôle total des puissant.e.s pour être réapproprié par le peuple. Mais concrètement, qui a vraiment déjà été cancel en France ? Allons, allons, réfléchissez… Vous avez vu passer tous ces articles parlant de la cancel culture mortifère, de son arrivée néfaste en France, au point qu’elle constitue une menace pour les libertés, la démocratie et vu passer des pétitions pour y mettre un terme. Donc, quelles sont les célébrités qui ont été « annulé » en France ? Dont la carrière a été brusquement arrêtée par la seule alliance des wokes, alors que ces personnes n’avaient commis aucuns crimes, ni délits ? Personnellement, je ne vois pas. J’ai beau chercher, je ne vois pas. Et pour cause, ce n’est pas les militant.e.s de gauche qui cancel en France, mais bien la droite et ses allié.e.s d’extrême droite, actuellement au pouvoir.
C’est la droite radicale macroniste, Darmanin et Schiappa qui ont fait voter une loi de cancellation de masse (la loi séparatiste), leur permettant de dissoudre à la chaine toute associations dissidentes qui dénoncent islamophobie, racisme, négrophobie et suscitent l’indignations des défenseurs des droits de l’homme par leur caractère liberticide et autoritaire. Face à l’hécatombe, l’observatoire des libertés associatives parle de « nouvelle chasse aux sorcières », car sous couvert de lutte contre l’islamisme, ce sont des dizaines d’associations opposantes au gouvernement qui sont dissoutes, au mépris du respect de l’Etat de droit. Les militant.e.s de gauche ne demandent pas d’annulation, mais la fin de l’impunité En France, la « cancel culture des wokes » telle qu’elle est fantasmée par les éditorialistes n’existent tout simplement pas, il n’y a pas de célébrités s’évaporant dans l’anonymat par la seule volonté des militant.e.s…. qui n’ont tout simplement pas ce pouvoir. Certes les militant.e.s peuvent exprimer leurs opinions, critiquer, dénoncer, vilipender mais in fine, leur nuisance se cantonne à colérer derrière un écran, car ce sont les décisionnaires (employeurs, Etat, Justice, médias) qui auront toujours le dernier mot, car eux seuls en ont le pouvoir. Toutefois, il est vrai que les militant.e.s, surtout les féministes ont pu demander la fin de l’impunité et le respect de l’état de droit pour des hommes accusés de viol, notamment Polanski, qui rappelons le, a trouvé refuge en France alors qu’il est un pédocriminel en fuite. Et c’est bien ça qui dérange dans la pseudo « cancel culture », c’est la crainte de la fin de l’impunité, la fin des privilèges, du silence imposé sur des affaires criminelles impliquant des hommes et femmes de pouvoir, c’est la peur que le curseur s’élargisse un tout petit peu du côté du peuple et des victimes, qui ont aujourd’hui la possibilité d’exprimer ce qu’elles ont vécu sur les réseaux, de recevoir du soutien, au point que la justice soit forcer de se pencher avec sérieux sur leurs affaires. Lysandra
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