Avant de commencer, j’aimerai clarifier un point : je ne suis ni psy, ni coach en développement personnel, ni experte en théologie. Je m’exprime sur le viol en tant que victime de viol, mais aussi en tant que féministe sur la notion du pardon.
Avant tout de chose, je dois vous parler de mon premier et de mon dernier viol. J’ai pardonné le premier, je crois que je ne pardonnerai jamais le dernier.
Mon viol
Pour les personnes pour qui ce récit est susceptible de raviver un trauma, je ne saurai trop vous conseiller de sauter cette lecture jusqu’au paragraphe suivant.
J’avais 19 ans, je partais en vacances en Suisse avec un ami, un ami d’enfance, que je connaissais depuis la sixième. Si dans sa tête de jeune homme à peine sorti de l’adolescence, obsédé à l’idée d’avoir sa première relation sexuelle, il était sans aucun doute persuadé que nous allions coucher ensemble ; pour moi, l’idée ne m’avait même pas effleurée. J’étais peut être naïve, j’étais étudiante en bi-licence droit-histoire de l’art et à l’époque, je voulais aller en Suisse pour visiter les musées de Lausanne, rien de plus.
La dernière nuit, il vient dans mon lit, se couche derrière moi, commence à me caresser. J’étais extrêmement mal à l’aise, il avait mauvaise haleine, et franchement… il me dégoutait. Polie, je lui dis que je suis fatiguée, au début, je n’ose pas lui dire clairement « non arrête, je ne veux pas » par peur de le vexer sans doute. Il continue, me dit qu’on a tout notre temps, je lui dis que « vraiment non, j’te jure, je suis vierge, je me sens pas prête », il insiste, il me dit que je « vais aimer ça, qu’il faut simplement que je me détende », je lui dis « non, je te jure, là je crois que j’en ai pas envie », il me dit que « tout va bien se passer », et me pénètre. Je me tétanise, je me laisse faire, je sens son haleine dégueulasse, j’ai mal et j’ai envie de vomir. Il finit, puis me dit « tu vois, ce n’était pas si terrible que ça ». De retour sur Paris, je n’en parle à personne, je me sens conne, je me sens sale.
Je repense à cette scène des dizaines de fois et je m’en veux terriblement. Si seulement je l’avais plus fermement repoussé, il n’aurait pas autant insisté, si seulement j’avais crié, il aurait compris que je ne voulais pas.
J’enfouis ce souvenir en moi, je poursuis mes études, la vie continue.
Jusqu’au jour où je découvre King Kong Theory de Virginie Despente, ce livre me foudroie. Son viol, ses sensations, sa haine, sa colère, sa résilience, c’est exactement ce que j’ai ressenti. Elle explique le phénomène de tétanisation de la victime, grâce à elle, je me pardonne d’être restée impuissante. Je comprends que le corps se fige pendant une agression, qu’il est parfaitement normal et courant que l’esprit de la victime « sorte de son corps » comme un mécanisme d’auto défense mental.
Puis, grâce à mes lectures féministes, je découvre la culture du viol, et je comprends pourquoi cet homme m’a violé.
Je comprends qu’il n’est que le produit de cette culture, de notre culture, qui lui a enseigné qu’une fille qui dit non, ne sait pas vraiment ce qu’elle veut, qu’elle cherche simplement à « sa faire passer pour une fille bien », mais qu’au fond, c’est une allumeuse.
Je comprends que dans sa tête, un « viol », c’est quand un homme, enfin, un monstre, arrache violemment les vêtements de la fille, la frappe alors qu’elle hurle… lui, certes, il m’a un peu forcé la main, mais ce n’est pas ça un viol, voyons.
Je ne sais même pas si il a conscience qu’il m’a violé, nous ne sommes plus jamais reparlé par la suite. Cependant, connaissant sa personnalité, je pense qu’il ne prend aucun plaisir sadique à violer, et qu’il ne veut pas se voir comme un violeur.
Cet évènement fondateur dans ma vie m’a donné la force de me battre contre le viol, de promouvoir la culture du consentement, pour éduquer les hommes (et les femmes et personnes NB) à avoir des relations sexuelles respectueuse du consentement de leur partenaire.
Cet évènement m’a permis d’en apprendre pourquoi sur moi-même, sur le féminisme, et sur notre rapport au sexe.
J’ai donc finit par lui pardonner, par pardonner à mon violeur. Pardonner m’a permis de comprendre ce qui me semblait incompréhensible, de ne plus être habitée par la colère et la culpabilité.
Par contre, je crois que je n’arriverai jamais à pardonner à mon prochain violeur : l’hôpital. Etant mère de deux enfants, et survivante d’un cancer du col de l’utérus, j’ai eu à de nombreuses reprises à subir des attouchements, des PV sans que l’on me demande mon consentement. Cela, je ne le pardonne pas, les médecins ont des procédures à respecter, qu’ils n’appliquent pas. J’ai beau avoir signalé ces attouchements non sollicités de nombreuses fois, l’administration de l’hôpital m’a envoyé bouler. Je ne peux pardonner ça, j’ai la haine, il existe des dizaines d’articles, des livres, sur les manquements éthiques à l’hôpital, et … oui, ils pourraient, ils devraient prendre des mesures contre ces attouchements non sollicités, et ils s’en balek. Ils continuent à nous traiter comme des trous béants, dans lesquelles ils peuvent entrer et sortir sans notre autorisation.
Ce que j’ai appris du pardon
De mon expérience, je peux juste dire que le pardon doit être exprimé pour soi et non pour le violeur.
On peut pardonner pour se libérer de la colère qui nous ronge, pour tourner la page, pour oublier, parce que le pardon correspond à nos valeurs profondes (le pardon chrétien par exemple) mais en aucun cas le pardon doit être une obligation, une injonction.
Le pardon n’est pas un du. Le pardon n’a pas à être valorisé par les médias. En glorifiant le pardon, les victimes qui savent « rester digne » face à leur violeur, les médias font du pardon une étape obligatoire vers la résilience, et en cela font aussi le jeu du patriarcat.
Car soyons clair : le viol n’est pas, par essence, pardonnable. Présenter le viol, comme un crime devant forcément être pardonné, amoindrit sa gravité, son caractère absolument impardonnable.
La victime ne doit pas le pardon au violeur, pour que celui-ci puisse se reconstruire, puisse lui aussi, tourner la page.
A qui profite le pardon ?
En tant que victime, vous avez le droit à la colère, à la haine, à la rancœur éternelle. Vous avez le droit de hurler votre peine, votre indignation, de le faire savoir à votre violeur et au monde entier.
Et pourtant la société attend des victimes qu’elles fassent preuve de « dignité » autrement dit qu’elles se taisent ? Pourquoi ? Car ces histoires de viol vous mettent mal à l’aise ? Car vous ne voulez pas voir la colère, la violence du trauma ?
En exigeant des victimes qu’elles pardonnent et qu’elles soient dignes, c’est leur histoires, leurs vécues que l’on silencie.
Je me souviens qu’un homme m’a dit sur Facebook « si tu avais été réellement violé, tu n’en parlerai pas ». Et cette phrase reflète assez bien ce que l’on attend des victimes de viol : qu’elles n’en parlent pas.
Et si elles en parlent, c’est que c’est louche, elles veulent l’argent, la gloire (je sais cela peut paraitre étrange que des hommes pense réellement qu’une femme puisse tirer une certaine gloire d’être violée, mais passons) ou tout simplement nuire à l’homme qu’elles accusent de viol.
Mais une femme violée ~ normalement ~ n’en parle pas.
Quant un homme parle de son viol, on lui rit au nez, on lui dit qu’il est chanceux (moi j’aimerai bien de faire sucer gratuit ! ahahah !) ou qu’il est juste un pédé refoulé.
Cette injonction à la dignité, au pardon et au silence n’arrange que les violeurs. Elle détruit les victimes, elles les confinent au silence.
Pire elles les culpabilisent si elles sont incapables de pardonner. Une femme qui refuse le pardon, qui refuse à son criminel la paix de l’esprit est une femme qui n’est guère miséricordieuse…
Donc non, le viol ne doit pas être pardonné.
Le choix du pardon n’appartient qu’à la victime, pour les raisons qui lui sont propres et personnelles.
Il est temps que l’on félicite, aussi, les victimes qui ont su dénoncer leur violeur avec violence, qui ne leur ont pas pardonné, qui ont su se battre, la rage au ventre pour briser la loi du silence.
Merci Nafissatou, Merci Tristane et toutes les autres.
Lysandra
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